Les QuiQuoi et leur humour délicieusement loufoque, première aventure de Silex Animation dans l’univers jeunesse

Fondée en 2009, et dirigée par Priscilla Bertin et Judith Nora, Silex Films produit longs-métrages, fictions et documentaires. En 2014, les deux fondatrices créent le studio Silex Animation, basé à Angoulême, dédié aux projets en 2D aux partis pris artistiques forts, aussi bien pour la TV que pour le cinéma, en production exécutive, déléguée ou en coproduction, avec la même volonté d’éclectisme.

Jusqu’à présent, Silex s’était distinguée en animation et de quelle belle manière, avec des projets destinés à un public jeunes adultes et adultes aussi remarquables que les séries Culottées (30×3’30), adaptation en animation des bandes dessinées de Pénélope Bagieu (Gallimard, 2016) réalisée par Phuong Mai Nguyen et Charlotte Cambon de Lavalette, diffusée sur France 5 et France.tv en 2021 ; ou Les Aventuriers de l’Art moderne (6×52’) diffusée sur ARTE en prime-time en 2015, adaptée des romans de Dan Franck et co-réalisée par la césarisée Amélie Harrault, avec Pauline Gaillard et Valérie Loiseleux. Une série vendue dans plus de 30 pays, récompensée de très nombreux prix en France et à l’étranger.

Et voilà qu’une série jeunesse leur est proposée par Virginie Giachino et Joris Clerté de Doncvoilà productions qui l’ont initiée et développée avec France Télévisions. Les QuiQuoi (52×7’), réalisée en 2D par Eugène Boitsov pour les 5-8 ans, est l’adaptation des albums de Olivier Tallec et Laurent Rivelaygue (Actes Sud Junior) aux titres aussi délicieusement évocateurs que « Les QuiQuoi et le chien moche dont personne ne veut » ou « Les QuiQuoi et le bonhomme de neige qui ne voulait pas fondre ». Le projet séduit l’équipe de Silex Films qui en devient productrice déléguée aux côté de Doncvoilà productions, en coproduction avec Mélusine Productions (Luxembourg) et Panique! (Belgique), tandis que la production exécutive de la série est confiée à Silex Animation.

Les prodigieuses aventures d’Olive, Pétole, Boulard, Mixo, Raoul et Pamela, une joyeuse bande de six ami.e.s au caractère bien trempé qui, au fil de leurs dessins, tente de résoudre de manière complètement loufoque des questions existentielles de leur âge, sont distribuée par MIAM!

La série qui sera diffusée en France sur France Télévisions, a été préachetée par la RTBF en Belgique et achetée notamment par Tiny Pop en Angleterre.

Interview réalisé par Veronique Dumon pour le compte de la société Toon Boom.

Rencontre avec Philippine Gelberger, sa productrice exécutive.

 

Philippine Gelberger

Toon Boom : Les QuiQuoi représente une première à plusieurs titres pour Silex : premier projet jeunesse, première fabrication sur plusieurs sites et première utilisation d’Harmony.

 

Philippine Gelberger : Chez Silex Films, on a une prédilection pour l’animation 2D. Et tout ce que l’on a produit jusqu’à présent était à 100% fabriqué dans notre studio à Angoulême.

Les QuiQuoi est en effet notre première expérience multi studios. Une partie est faite dans notre studio Silex Animation à Angoulême, une autre chez Les Astronautes à Valence et on termine au Studio 352 de Mélusine Productions au Luxembourg. Nous avions donc besoin de mettre en place un pipeline qui soit assez costaud pour nous permette de passer d’une étape et d’un studio à l’autre.

Nous avions déjà collaboré avec Eugène Boitsov, le réalisateur, sur Culottées. Il a travaillé sur le développement et le pilote de la série, en regrettant de ne pouvoir le faire sur Harmony car nous avions fait un autre choix à l’époque. Il avait en effet déjà utilisé le logiciel sur quelques projets personnels et surtout, très curieux techniquement, il en avait vraiment vu le potentiel.

Ce qui nous a à notre tour particulièrement intéressé sur Harmony, c’est la possibilité qu’il offre de rester dans le même environnement technique de la suite Toon Boom, du storyboard jusqu’au compositing.
En fait le défi c’était d’arriver à trouver le moyen de conserver le rendu du travail d’Olivier Tallec, l’illustrateur des livres. Comment faire pour rendre les textures ?

Toon Boom : Ce sont en effet de merveilleuses illustrations, d’un extrême finesse

Philippine Gelberger : Oui, c’est d’une grande délicatesse. Après, au-delà des capacités du logiciel, c’est vraiment le doigté des personnes qui ont travaillé dessus qui imprime une patte.

Une équipe presque exclusivement féminine d’ailleurs au niveau des chef.fes de postes en France. A l’exception de Nicolas Hu, le chef storyboard, il y a notre cheffe layout, Francesca Marinelli qui était notre cheffe anim à Angoulême sur Culottées, Aïda Berengue Carbonell notre cheffe animation dont c’était une première à ce poste, Claire Magnier notre cheffe design qui était character designer sur Culottées et en cheffe décors, Yulia Aronova.

Toon Boom : Silex n’est pas à l’origine des QuiQuoi, comment êtes-vous arrivés sur ce projet ?

Philippine Gelberger : Le réalisateur Joris Clerté, associé fondateur de Doncvoilà productions avec Virginie Giachino, est un ami d’Olivier Tallec et Laurent Rivelaygue, les auteurs des livres. Ils ont eu rapidement l’envie d’adapter les livres, imaginant que ça pourrait devenir aussi une formidable série d’animation, empreinte de cet humour si remarquable. Joseph Jacquet (NDLR : Directeur du développement de l’offre jeunesse France Télévisions) a bien aimé l’idée et France Télévisions a donc fait un premier développement à partir des albums pour valider leur intuition.

Quand ils sont arrivés au bout de l’écriture, ils se sont dit qu’ils pouvaient en faire vraiment quelque chose de chouette. Mais à quoi cela allait-il ressembler ?

Le développement de la première bible littéraire et graphique a été complété par l’écriture de scénarios et des tests d’animation.

C’est à ce moment-là qu’ils sont venus nous chercher. Ils voulaient s’associer à des productrices qui seraient capables d’aller trouver du financement à l’international sur des budgets plus conséquents que ceux dont ils avaient déjà l’expérience. Avec également un fort intérêt pour notre capacité à fabriquer en interne, dans notre studio à Angoulême.

Toon Boom : On est en quelle année ?

Philippine Gelberger : En 2019, juste avant la pandémie.

Toon Boom : Ce qui veut dire que le projet s'est monté sur plusieurs studios pendant le confinement ?

Philippine Gelberger : Non, nous avons eu de la chance, la production a commencé après.

Pendant le confinement, on était en période d’écriture. Philippe Traversat est arrivé pour faire duo avec Laurent qui détenait l’univers des QuiQuoi, car le choix avait été fait de ne pas avoir de direction d’écriture et garder une équipe réduite pour ne pas perdre la saveur du ton et de l’humour. Il est ensuite parti sur d’autres projets et Laurent a terminé l’écriture.

Silex est arrivé pour faire le pilote. Je travaille comme ça autant que possible lorsque l’on arrive à avoir des conventions de développement. Ça me paraît en effet essentiel de passer par cette étape quand on est sur des séries courtes. Ça permet de se poser plein de questions, à la fois d’écriture et de mise en scène. On éprouve des choses, on teste, on cherche, on pense qu’on a trouvé des réponses à la fin du pilote… Et quand on démarre la production, on recommence à rechercher et à affiner, c’est vrai, mais on a déjà gagné énormément de temps.

Et surtout, ça nous permet d’être plus proche du coût de fabrication et de production.

Toon Boom : Cela permet d'affiner le budget.

Philippine Gelberger : Oui, et particulièrement dans le cadre du fonctionnement de Silex. Nous sommes vraiment des autodidactes en animation. Beaucoup de studios conçoivent chaque nouveau projet dont ils ont la charge à l’intérieur d’un pipeline de fabrication déjà mis en place. Notre particularité, c’est de ne rien avoir de préconçu. On met en place à chaque fois un nouveau pipe adapté au projet et sur mesure pour lui. Ça a donc une incidence économique importante.

Toon Boom : Un « héritage » de votre travail sur les projets documentaires qui nécessitent de repenser à chaque fois le modèle de fabrication ?

Philippine Gelberger : Je pense que l’on aurait pu tirer parti de ce que l’on avait mis en place sur Culottées pour Les Quiquoi cette fois… Mais le choix du passage à Harmony et ses avantages nous a, de fait, obligé à repenser les choses.

Si l’on devait un jour adapter une autre œuvre d’Olivier Tallec, graphiquement, on pourrait en revanche repartir de ce que l’on conçu.

Toon Boom : Avez-vous développé des outils particuliers ?

Philippine Gelberger : Oui, tout au long du processus. C’était la collaboration indispensable avec le studio des Astronautes. Ils ont une connaissance et une équipe technique que nous n’avons pas encore chez Silex, bien que notre studio angoumoisin soit vraiment en train de se structurer et de se professionnaliser avec l’arrivée d’Alice Binard comme directrice de studio.

Toon Boom : Combien êtes-vous à Angoulême ?

Philippine Gelberger : Beaucoup de monde ces derniers mois, autour de 70 personnes. Une quarantaine sur Romantisme, le prequel des Aventuriers de l’Art moderne, et une trentaine sur Les QuiQuoi pour les phases layout et animation. Et au Luxembourg, chez Mélusine, ils font aussi de l’animation, la couleur et le compositing.

La livraison est prévue à l’automne 2023. Et on espère aller à Annecy l’année prochaine !

Il y a quelque chose de très fort autour de l’humour dans cette série. C’est d’ailleurs ce qui a été notre point de rencontre avec Les QuiQuoi. Car initialement, la série préschool n’est pas forcément dans la ligne éditoriale de Silex, qui explore plutôt les sujets ado/adulte. Mais le programme s’adresse vraiment à tout le monde en fait.

J’ai lu et relu les scénarios. J’ai vu je ne sais combien de fois les animatiques sous toutes les formes. J’étais aux enregistrements des voix. Et j’ai toujours autant de plaisir à regarder les épisodes que j’en ai à regarder ceux de Culottées. Il y a vraiment quelque chose de très réussi dans l’alchimie entre le scénario, la mise en scène et la réalisation artistique qui donne à la série un côté intemporel.
Eugène Boitsov a un talent fou ! Il a une appréhension de l’animation très fine. Il arrive à glisser des choses très subtiles rien qu’à travers la force de l’image. Je n’avais pas mesuré, moi qui viens du live, la diversité qu’offre l’animation et la force dans la narration qu’elle permet, même sans parole. Sur Les QuiQuoi, ça marche formidablement bien.

Eugene Boitsov

Toon Boom : Après la mise en route avec Doncvoilà productions sur le pilote, vous avez commencé à travailler avec Les Astronautes, le studio valenciennois fondé par Jean Bouthors et Vanessa Buttin-Labarthe.

Philippine Gelberger : Eugène, le réalisateur vivant à Valence, il nous fallait trouver un studio sur place qui puisse nous accompagner.

Toon Boom : Quelles missions leur as-tu confiées ?

Philippine Gerber : Les Astronautes nous ont accompagné dès la pré-production sur les décors, les designs, les rigs, et ont mis en place le pipe de fabrication. Ils ont développé des scripts sur mesure pour adapter Harmony à nos besoins spécifiques et obtenir une fluidité de fabrication. Sur le pilote, on a créé des équipes qui ont travaillé dans les deux endroits.

Toon Boom : En fait, tu as fait voyager les équipes…

Philippine Gelberger : Absolument, idem avec Mélusine au Luxembourg. De façon à avoir toute l’équipe qui travaille en même temps avec le réalisateur au même endroit. Et pouvoir repartir ensuite dans les différents studios, mais en ayant toute l’appréhension artistique.

Toon Boom : Ça ne me paraît pas être un mode de fonctionnement tout à fait habituel…

Philippine Gelberger : Je ne sais pas, mais en tout cas, ça me paraissait pertinent.

En janvier dernier, notre cheffe anim était avec Eugène chez Mélusine pour accompagner les équipes qui arrivaient. On avait déjà de l’expérience dans la fabrication de nos épisodes. On avait déjà banqué pas mal d’éléments et préparé des pavés de méthode de travail pour pouvoir les mettre à disposition des autres studios.

Toon Boom : C’est une organisation qui représente un coût important ?

Philippine Gelberger : En fait, cela représente une réelle économie car ça évite tellement de retake ! Tu vas effectivement déplacer pendant un temps des personnes pour lesquelles tu vas payer logements et billets de train. Mais en contrepartie, tu as une fluidité d’échanges entre chef.fes de poste et réalisateur, une fluidité d’échange avec les équipes. Tu es au point artistiquement sur ce que tu attends. Ça, c’est pour la partie fabrication. Ensuite toute la postprod son se fait en Belgique chez nos coproducteurs belges Panique!

On fait 6’35 d’animation par épisode. On a une équipe de 8 personnes qui doit les animer en une semaine en respectant un très haut niveau d’exigence. Nous utilisons un mix de marionnettes et d’animation traditionnelle. Car Les QuiQuoi sont des personnages qui ont de tout petits bras et de toutes petites jambes. Donc si l’on utilisait que des marionnettes, ils ne pourraient… rien attraper. Il faut donc tricher, et les bras, les mains, les jambes sont souvent redessinés.

On a un layout très poussé, très dessiné. Ensuite, à la phase animation, on fait du blocking. Les animateurs et animatrices positionnent les marionnettes sur toutes les poses clés et animent la marionnette en redessinant à la main.

Toon Boom : Vous avez dû recruter pour ce projet des talents qui maitrisaient les deux techniques et il est difficile de trouver des personnes très expérimentées en ce moment…

Philippine Gelberger : Oui, c’était assez particulier. Il y a beaucoup, beaucoup de travail en ce moment en animation et c’est effectivement compliqué de trouver des profils seniors d’autant que l’on fabrique dans une petite économie. Donc on a beaucoup de personnes qui sortent d’écoles, des équipes assez mixtes, garçons et filles, pour lesquels Les QuiQuoi est la première expérience et qui sont en train de devenir des super profils.

Toon Boom : Comment organisez-vous le recrutement ?

Philippine Gelberger : A Angoulême, nous avons un chargé de production, Hugo Legay, l’assistant de prod de Culottées, qui a fait LGPA (NDLR : Licence « Gestion de la production audiovisuelle » des Gobelins), comme la majorité des gens en production en animation, qui est assisté de Lison Jouveau.

Ce sont eux qui s’occupent de faire passer les tests et qui se chargent des présélections pour l’équipe angoumoisine. Et c’est Eugène qui sélectionne toutes les personnes qui travaillent sur la production.

Car c’est toujours une histoire d’alchimie. Pour répondre à une attente, il faut comprendre ce qu’on te demande. À partir du moment où il a choisi les personnes avec qui il va travailler, il sait ce qu’il va pouvoir leur demander, jusqu’où elles sont capables d’aller dans leur dessin.

Toon Boom : Depuis quand Silex Animation est installé à Angoulême ?

Philippine Gelberger : Depuis Les aventuriers de l’art moderne, donc 2013.

Toon Boom : pour en revenir à la composition des équipes au générique de vos productions ou de celles auxquelles vous collaborez pour d’autres sociétés, elles sont souvent très féminines. Un parti pris qui fait échos à l’engagement des fondatrices de Silex Films, Priscilla Bertin et Judith Nora qui figurent parmi les premières signataires de la charte 50/50 ?

Philippine Gelberger : Je pense que c’est d’abord une question de ligne éditoriale et de projets.
Mais c’est effectivement la première fois sur Les QuiQuoi, encore une, que l’on travaille en animation avec un réalisateur homme. Nous avons jusqu’à présent collaboré avec des réalisatrices très talentueuses comme Amélie Harrault sur Les Aventuriers de l’Art Moderne. Et nous travaillons ensemble depuis 7 ans à son prequel, une histoire du 19e siècle à travers ses grandes figures artistiques et culturelles, une nouvelle série documentaire tout en animation de 4×52’ toujours pour Arte en France, Romantisme : les aventuriers de l’art. Ça va à nouveau être sublime.

Toon Boom : Ce sont d’ailleurs ces projets-là qui t’ont amenée, à l’animation.

Philippine Gelberger : Je venais de 25 ans de documentaire en prise de vue réelle et effectivement, j’ai rencontré l’animation sur Les Aventuriers et j’ai basculé. Je pense qu’il y a une sensibilité, une recherche de direction artistique particulière. Et comme nous avons commencé l’animation il n’y a pas si longtemps, on fédère petit à petit des gens et on constitue une équipe. Cela dit, pour chaque nouveau projet, on fait passer des tests et on choisit simplement les gens qui sont bons. Et il se trouve qu’il y a beaucoup de filles qui viennent postuler.

Toon Boom : Il y a aussi de plus en plus de femmes aujourd’hui dans l’animation.

Philippine Gelberger : Et peut-être d’avantage de filles qui sont plus attirées par la 2D que par la 3D.

Quoi qu’il en soit, il se trouve aussi que Silex offre un environnement très féminin. Il n’y a que des productrices, une équipe majoritairement féminine, et je pense que ça attire. Moi qui connais peu le milieu de l’animation, je découvre petit à petit que c’est un univers masculin et j’ai entendu des filles se plaindre de remarques déplacées, de choses désagréables. Alors travailler dans un environnement positif et bienveillant, c’est loin d’être négligeable. Nous avons en fait développé un studio qui prend en compte le bien-être au travail, qui porte une attention aux gens qui y travaillent.

Et puis, en l’occurrence sur Les QuiQuoi, on a aussi un réalisateur extrêmement délicat, attentionné, attentif et qui implique énormément ses équipes. Je pense que par sa sensibilité, il n’est pas lui non plus à l’aise dans un univers très masculin un peu viril. Il n’est pas dans ce rapport là au monde.

Quant aux auteurs, Olivier Tallec et Laurent Rivelaygue, ils amènent quelque chose de truculent qui est formidable, comme le sont leurs albums, comme le sera, j’en suis convaincue, la série.