​​Animer l’univers de Quentin Blake : Tchack relève le défi pour Les plus belles histoires de Quentin Blake

Par Véronique Dumon avec la collaboration de Luca Zutz

Avec Les plus belles histoires de Quentin Blake (Quentin Blake’s Box of Treasures) diffusée en novembre 2023 sur la BBC, c’est un formidable cadeau de fin d’année que France Télévisions offre au public. Disponible en France depuis décembre 2024 sur Okoo et France 4, cette collection de six spéciaux de 26 minutes est une nouvelle adaptation de l’œuvre du célèbre auteur-illustrateur britannique mondialement connu pour ses illustrations des livres de Roald Dahl. Ici, ce sont 6 de ses histoires les plus emblématiques, mêlant poésie, fantaisie et humour qui prennent vie en animation 2D.  La série suit les aventures de personnages hauts en couleur, comme deux enfants emportés par une tempête sur une île exotique dans Jack et Nancy, ou un artiste de rue aidé par des anges bienveillants dans Le grand dessin. Réalisée par Gerrit Beker et Massimo Fenati, la collection est une coproduction internationale entre Eagle Eye Drama (Angleterre) et Creative Conspiracy (Belgique, région flamande) en association avec les équipes d’animation de Spicy Acorn (Belgique), Tchack (France) et Kong Studio (Angleterre), commandé par BBC Children’s and Education. Elle est portée par une bande-son originale propre à chaque épisode et interprétée par le BBC Philharmonic Orchestra. La version française a été réalisée par TransPerfect Média sous la direction de Céline Ronté.

En tant que responsable des décors et prestataire en animation, Tchack, société basée à Lille, connue pour des projets comme Petit Malabar (TCHACK / France 5 / Pictanovo / Albin Michel / Avec la participation du CNC), la série Les Danger (Tchack / Pictanovo / CNC) produite pour Canal+, ainsi que des longs-métrages comme Avril et le Monde truqué (Je suis bien content / STUDIOCANAL / ARTE France Cinéma / JOUROR Distribution / Tchack / Kaibou Production INC. / Need Productions / RTBF – Radio -Télévision Belge Francophone/Proximus/Wallimage SA) ou Josep (Les Films d’Ici Méditerranée / Tchack) le studio Tchack s’est chargé de tous les décors de la série et de l’animation des deux épisodes Jack et Nancy et Le grand dessin.

Depuis sa création en 2008, Tchack est reconnu pour sa capacité à produire des projets d’animation innovants et artistiquement audacieux. Dirigé par Matthieu Liégeois, Armel Fortun, Baptiste Grosfilley, Luciano Lepinay, et Santine Muñoz, le studio, récompensé en 2023 par le Prix du Producteur français de télévision dans la catégorie Animation, a contribué à des films comme Jungle Rouge (Dolce Vita Films / Tchack / Intermezzo Films / Nadasdy), Louise en hiver (Arte / JPL Films / Tchack / Unité Centrale) et Young Vincent (Submarine / Tchack / Doghouse Films). En 2016, Tchack a créé le studio Beaux et Bien Habillés. Cette initiative a permis de séparer les activités de production des prestations extérieures tout en renforçant son expertise dans la création et la gestion de projets d’animation. Beaux et Bien Habillés a été un véritable tremplin pour Tchack, consolidant son positionnement dans l’industrie de l’animation.

Retour sur les défis techniques et créatifs des Plus belles histoires de Quentin Blake avec Marco Lambin, superviseur général des productions chez Tchack.

Toon Boom : Pouvez-vous commencer par nous parler de votre parcours et de votre rôle au sein du projet et au sein de Tchack ?

Marco Lambin : Cela fait maintenant sept ans que je travaille chez Tchack. Après avoir terminé mes études à l’ESAAT à Roubaix, j’ai directement intégré le studio dans lequel j’ai eu la chance de faire mon alternance, et je n’en suis jamais parti depuis.

Toon Boom : Une belle entrée dans la vie professionnelle et en restant dans la région Hauts-de-France.

Marco Lambin : C’est vrai ! J’ai donc débuté comme décorateur, avant de me reconvertir en production il y a environ trois ans. Actuellement, je suis superviseur général des productions. Je gère principalement l’ensemble des projets, tant en prestation qu’en fabrication, et le recrutement des équipes.

Concernant le projet Les plus belles histoires de Quentin Blake, une part importante de mon travail a d’abord consisté à superviser le recrutement avec l’aide de Juliette Luzniak, chargée de production et de Luciano Lepinay, notre directeur artistique. Nous sommes en effet très axé sur la création de décors, avec une équipe solide de technicien-nes spécialisé-es dans ce domaine mais nous connaissions à l’époque peu d’animateur-rices, en particulier des animateurs 2D traditionnels, ce qui était nécessaire pour le style particulier de Quentin Blake. Nous avons donc dû recruter une nouvelle équipe spécifiquement pour cette production.

Toon Boom : Sur combien de projets travaillez-vous ?

Marco Lambin : Cela varie, mais entre le développement, l’écriture et la post-production, on tourne généralement entre 20 et 30 projets en même temps. Pour ceux qui sont encore à l’étape de l’écriture, ce sont surtout des échanges réguliers avec les auteurs. En fabrication, on peut avoir un gros projet, comme celui dont nous parlons, et un plus petit en parallèle. Parfois, on a aussi quatre ou cinq projets de taille moyenne ou petite. On a de la place pour tout ça. On dispose de 65 postes pour les technicien-nes dans le studio.

Toon Boom : Comment ce projet est-il arrivé chez Tchack et quelles sont les tâches qui vous ont été confiées ?

Marco Lambin : Creative Conspiracy, avec qui nous avions déjà collaboré pour tous les décors 2D sur Ninja Express (NDLR : une série 3D réalisée par Kim Claeys et François Reczulski), nous a approchés pour ce projet.

Pour Les Plus Belles Histoires de Quentin Blake, Creative Conspiracy a été contacté par Eagle Eye Drama pour adapter les livres de Quentin Blake. Au départ, nous devions gérer uniquement tous les décors, mais la charge de travail en animation a conduit à diviser les six épisodes entre trois studios, chacun prenant en charge deux épisodes. C’est ainsi que nous avons animé Jack et Nancy et Le Grand Dessin, les épisodes les plus complexes, grâce à nos animateurs expérimentés et à une plus grande équipe. En revanche, nous avons donc réalisé l’ensemble des décors soit environ 120 décors par épisode.

Toon Boom : La variété est effectivement impressionnante !

Marco Lambin : Oui, d’autant que dans les livres de Quentin Blake, il n’y a pas de véritables décors. Ce sont souvent des fonds blancs et l’on a dû faire tout ce travail d’adaptation pour créer un univers visuel complet.

Toon Boom : Pourriez-vous nous détailler comment s’est organisée la coordination des différents aspects de cette production ?

Marco Lambin : Nous avons utilisé Harmony dès le début de la production, sauf pour les décors, réalisés sur Photoshop avec des fichiers fixes. Les storyboards ont été réalisés sur Storyboard Pro, à la fois par les Anglais et l’équipe belge. Pour les deux épisodes que nous avons animés, nous avons retravaillé et cleané les storyboards, les rendant plus précis pour les animateurs. Ensuite, nous avons utilisé Harmony pour la préparation des scènes, l’animation rough, le clean, la colorisation, et l’ombrage, ainsi que pour le précomp des épisodes que nous fabriquions. La Belgique nous a fourni un document technique, et nous nous sommes      formés à l’utilisation d’Harmony. C’était une première pour nous d’avoir une production traditionnelle à grande échelle sur ce logiciel, bien que nous l’avions déjà utilisé pour des productions en cut-out. Nous avons donc découvert pas mal de nouveaux outils durant la fabrication.

Toon Boom : Pourquoi avoir choisi Harmony de Toon Boom pour cette production ?

Marco Lambin : Le format de 6 x 26 minutes, dont deux épisodes chez Tchack, nécessitait un logiciel capable de gérer cette complexité. Harmony a été choisi pour sa capacité à faciliter l’échange de fichiers entre les studios. En termes de colorisation et d’animation, son utilisation du vectoriel permettait de conserver la qualité du trait, même en zoomant. Ce choix a assuré une grande cohérence tout au long du pipeline, depuis le storyboard jusqu’au compositing, réalisé principalement sur Harmony. Bien que l’étalonnage ait été fait ailleurs, la plupart des étapes ont été gérées sur le même logiciel, ce qui a grandement facilité le processus.

Toon Boom : Avez-vous eu une grande liberté créative sur ce projet, sachant que le style de Quentin Blake est à la fois très reconnaissable et très libre ?

Marco Lambin : Nous avions déjà réfléchi à l’adaptation de l’univers de Quentin Blake lors de la fabrication d’un teaser pour Jack and Nancy. La principale difficulté résidait dans la variation des personnages d’un livre à l’autre, notamment au niveau des yeux et des proportions. Il a donc fallu uniformiser l’ensemble.

Pour ce projet, nous n’avions pas à nous occuper de l’adaptation des personnages mais les décors ont fait l’objet de nombreux échanges entre le réalisateur et Luciano Lepinay. Au départ, l’approche était plus légère, mais nous avons ajouté des détails pour un style plus cinématographique.

Les personnages de Blake étant très 2D et dessinés sous un seul angle, leur animation, notamment les mouvements de tête, a demandé des ajustements pour conserver l’aspect du dessin à la main. Nous avons pris soin de ne pas trop dévier du style original, surtout pour les personnages, tandis que pour les décors, nous avons été plus créatifs.

L’animation et la colorisation ont aussi posé un défi : les traits ouverts des personnages exigeaient une série d’étapes pour être fermés, puis colorés en blanc avant la colorisation finale, ce qui représentait un processus complexe en quatre étapes.

Toon Boom : Savez-vous si Quentin Blake a vu les épisodes ? Est-ce que vous avez eu l’occasion d’échanger avec lui pendant la production ?

Marco Lambin : Oui, il a été consulté tout au long de la production par Eagle Eye en Angleterre. Dès que nous avions besoin de références ou de props qu’on n’aurait pas trouvés dans les livres, il nous faisait des croquis rapides, c’était chouette. Il a vu les épisodes terminés, me semble-t-il en septembre. Il était ravi.

Toon Boom : Un article de L'Express qualifiait Quentin Blake de « dessinateur anglais le plus français ». Connaissiez-vous son œuvre et qu’évoque pour vous cette citation ?

Marco Lambin :  Beaucoup dans l’équipe, notamment les animateur-rices, connaissaient bien son travail. Et animer ses personnages a été un vrai plaisir car cela réveillait leurs propres souvenirs d’enfance. Personnellement, je lisais plus de bandes dessinées ou de livres classiques quand j’étais enfant. Cependant, en y repensant, son style me rappelle un peu Le Petit Nicolas…  Et j’ai beaucoup aimé moi aussi travailler sur ce projet.

Toon Boom : Combien de personnes ont travaillé sur ce projet chez Tchack ?

Marco Lambin : Une cinquantaine de personnes. Nous avions 10 animateurs pour les premiers dessins (rough), 10 pour le clean, 8 pour la colorisation, soit 28 animateurs au total, plus 12 décorateurs, mais aussi toute l’équipe de production. C’était un véritable travail d’équipe, incluant même des alternant-es et stagiaires venu-es d’écoles de la région. Le recrutement pour un logiciel que nous connaissions encore peu a été un défi, mais Toon Boom nous a bien soutenus pour comprendre certaines fonctions, notamment au début. Une partie de l’équipe n’avait jamais utilisé Harmony mais comme il s’agissait d’animation 2D traditionnelle nous n’avions pas à gérer la complexité des « nodes », sauf pour la colorisation.

Toon Boom : Justement, comment s’est passé l’étape de recrutement dont vous nous parliez ?

Marco Lambin : C’était une première pour Tchack, nous n’avions jamais recruté autant de personnes. Nous avons dû développer un outil interne pour gérer les candidatures, notamment pour les 12 postes de décorateurs, où nous avons reçu environ 300 candidatures. Après une première sélection basée sur les portfolios, nous avons réduit la liste à 100 candidats avant de lancer des tests techniques. Pour l’animation, grâce à un accord avec Toon Boom et la précieuse contribution de notre directeur technique, Armel Fortun, nous avons pu louer des licences à la journée installables sur les postes en présentiel comme sur les ordinateurs des candidats en distanciel. Ce qui était surprenant, c’est que ceux qui réussissaient le mieux les tests n’étaient pas toujours ceux dont le portfolio correspondait au style de Quentin Blake. Les tests étaient intenses, souvent d’une journée entière, et il fallait saisir rapidement l’esprit du style. Pour l’animation, nous avons reçu environ 450 candidatures… et nous avons répondu à presque tout le monde !

Toon Boom : Tchack met un point d’honneur à maintenir un côté artisanal dans la fabrication de ses productions. Comment cette philosophie a-t-elle influencé votre travail sur Les plus belles histoires de Quentin Blake ?

Marco Lambin : Ce qui distingue Tchack, c’est cette implication constante dans la création, même lorsqu’il s’agit de prestations. Bien que nous soyons prestataire sur ce projet, nous avons été pleinement engagés dans l’adaptation graphique et avons travaillé à maintenir une qualité artistique élevée. Luciano Lepinay, en particulier, veille à garder un contrôle sur la création. Nous ne pouvons pas le faire sur tous les projets, mais nous nous efforçons de laisser notre empreinte. Dans Les plus belles histoires de Quentin Blake, on voit clairement notre touche de décorateurs, ce qui rend le résultat très satisfaisant.

Toon Boom : Et cela bénéficie aussi aux équipes…

Marco Lambin : Oui, la prestation pure permet d’avoir du travail, mais ce n’est pas pareil en termes de qualité et de satisfaction que lorsque nous pouvons donner notre avis, notamment sur des éléments artistiques ou scénaristiques. Dès le début, nous avons eu accès aux scénarios des épisodes et avons pu faire nos retours, ce qui a été très appréciable.

3 questions à Matthieu Liégeois, dirigeant de Tchack et producteur

Toon Boom : Quelle place occupe le projet Les plus belles histoires de Quentin Blake dans la stratégie de Tchack ?

Matthieu Liégeois : Ce projet occupe une place stratégique essentielle. C’était notre première grande production depuis l’agrandissement des locaux, et cela a été un véritable test pour nous. Animer 52 minutes n’était pas une tâche facile mais cela a permis de développer et d’affiner notre savoir-faire en animation traditionnelle, notamment sur l’animation rough, le clean-up et la colorisation. Ce projet nous a aussi donné l’opportunité de travailler avec des équipes très performantes et de monter en compétence. Il a également joué un rôle crucial sur le plan humain. L’équipe a atteint un total de 50 personnes et il était formidable de voir la structure tenir le coup à ce rythme. Nous avons pu créer des liens solides entre les animateurs et beaucoup continuent d’échanger aujourd’hui. C’était vraiment gratifiant de constater la cohésion qui s’est installée. Et économiquement, ce projet a soutenu la croissance du studio en créant de nouvelles perspectives pour l’avenir.

Toon Boom : Ce projet a-t-il permis à Tchack d’explorer de nouvelles facettes créatives ?

Matthieu Liégeois : Oui, Les plus belles histoires de Quentin Blake a été une occasion idéale pour repousser nos limites créatives en termes d’animation. Concernant notre savoir-faire en décors c’était également une expérience enrichissante. Nous avons constitué une nouvelle équipe afin de répondre aux spécificités techniques liées à l’univers unique de Quentin Blake.

Toon Boom : Est-ce que ce projet est une étape importante dans le développement de votre activité à l’international ?

Matthieu Liégeois : Absolument. Les plus belles histoires de Quentin marque une nouvelle étape importante pour Tchack et Beaux et Bien Habillés. Nous sommes actuellement en discussion avec plusieurs producteurs étrangers pour produire d’autres séries avec le soutien du Crédit d’Impôts International. Nous travaillons par exemple sur notre série Les Dangers (NDLR : série de 10 x 11’ développée par Daniel Klein, Cyril Deydier et Baptiste Grosfilley), où l’animation est réalisée en Corée. En parallèle, nous continuons à développer des coproductions internationales avec des partenaires tels que Creative Conspiracy (Belgique, Flandres), Submarine (Pays-Bas), Onoff (Arménie) et d’autres projets encore en cours de discussion. Ce projet a donc été un véritable tremplin pour nous, ouvrant des opportunités de collaborations au-delà de la France et nous offrant une visibilité précieuse sur le marché international.