Marcel et Monsieur Pagnol : Quand Sylvain Chomet rend hommage à Marcel Pagnol
Marcel et Monsieur Pagnol, le nouveau long métrage de Sylvain Chomet, hommage à l’écrivain et cinéaste français produit par What The Prod, Mediawan, Picture Box et Bidibul productions en coproduction avec Walking The Dog, vient d’être présenté à Cannes. Rencontre avec Thierry Boutry, assistant réalisateur et François Posson, animateur, pour rentrer dans les coulisses de la fabrication à la veille de sa projection à Annecy en compétition officielle.
À l’occasion du 130ᵉ anniversaire de la naissance de Marcel Pagnol, sortira en salles le 15 octobre 2025 Marcel & Monsieur Pagnol, le nouveau long métrage du réalisateur français Sylvain Chomet (Les Triplettes de Belleville, L’Illusionniste, la séquence d’ouverture du film de Todd Phillips, Joker : Folie à Deux, nommé quatre fois aux Oscars®, premier lauréat du César du meilleur film d’animation en 2011, lauréat du Cristal du court métrage au Festival d’Annecy et aux BAFTA® en 1997 pour La vieille Dame et les pigeons…).
Ce biopic animé sur la vie de l’écrivain et cinéaste marque son retour sur grand écran après plus de dix ans d’absence.
En 1955, alors qu’il est au sommet de sa carrière, Marcel Pagnol reçoit une commande du magazine Elle pour écrire une série d’articles sur son enfance. D’abord enthousiaste à l’idée de revenir à ses premiers souvenirs, il se heurte rapidement à des trous de mémoire et des doutes, exacerbés par le succès mitigé de ses dernières pièces.
Ce projet, initié par Nicolas Pagnol, le petit fils de Marcel Pagnol, et Ashargin Poiré est co-produit par What The Prod(Ashargin Poiré et Valérie Puech), Aton Soumache, Mediawan, Picture Box et Bidibul (Lilian Eche) et sera distribué par Wild Bunch en France, et par Elle Driver et Sony Pictures Classics dans plus de 60 pays. La fabrication du film a été majoritairement répartie entre 3 studios d’animation : Doghouse au Luxembourg, Walking The Dog en Belgique et le studio de Mediawan en France : Mediawan Kids & Family Cinéma (Le Petit Prince – César® du meilleur film d’animation en 2016 -, Le Petit Nicolas – Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? -Cristal du long métrage au Festival d’Annecy 2022- et Miraculous : Le Film, succès international à l’image de de la série qui l’a inspiré). Le pipeline a également été renforcé par l’intervention de deux studios d’animations vietnamiens afin de tenir les délais sans compromettre la qualité du film.
Rencontre avec Thierry Boutry, réalisateur, storyboarder et premier assistant réalisateur du film, trente ans d’expérience dans l’animation (Molang, Code Lyoko…), et François Posson, jeune animateur 2D, pour un réjouissant dialogue intergénérationnel.

ToonBoom : Comment êtes-vous arrivés sur ce projet ?
Thierry Boutry: On m’a appelé ! J’avais terminé la réalisation de la saison 6 de Molang, et j’ai reçu un premier appel. À ce moment-là, je venais tout juste de finir et je ne souhaitais pas repartir immédiatement sur un projet, encore moins un long métrage. Un an plus tard, ils m’ont recontacté, après une première phase de préparation menée par un autre assistant réalisateur. Cette fois, j’ai accepté. Je n’avais encore jamais travaillé avec Sylvain Chomet.
François Posson : Moi, on ne m’a pas appelé (rires). Je suis d’abord arrivé en stage chez Mediawan Kids & Family en mai 2023, juste après avoir obtenu mon diplôme en animation 2D à l’école Pivaut, à Nantes. Mon stage a commencé sur la production de l’introduction cartoon du film Joker 2 : Folie à Deux, réalisé par Sylvain Chomet. Le format était court (trois minutes), ce qui m’a permis de bien comprendre le projet. D’abord coloriste, j’ai vite touché à d’autres aspects grâce à ma maîtrise d’Harmony. J’ai travaillé dessus jusqu’en novembre, puis ils m’ont gardé sous contrat, d’abord comme assistant dessinateur, puis comme animateur jusqu’à fin février sur Marcel et Monsieur Pagnol.
ToonBoom : Le film a été fabriqué sur trois sites différents, Comment avez-vous organisé le travail entre les différents studios impliqués ?
Thierry Boutry : Mon rôle était principalement de coordonner le travail entre les studios belges et luxembourgeois. Répartir les plans entre plusieurs studios, en tenant compte des plannings et des contraintes techniques, n’est pas facile. Mais l’équipe a réalisé un travail remarquable. L’animation était d’un niveau encore supérieur à nos attentes et Sylvain Chomet semblait très satisfait du résultat. Tous les superviseurs étaient basés à Paris, notamment Xiaopeng Jiao, le chef d’animation, et Lana Choukroune, la directrice artistique, qui veillait à l’homogénéité du style. Le chef décors, Sébastien Morin, était également à Paris, tout comme l’équipe de compositing supervisé par Brenda Bulut.
ToonBoom : Marcel et Monsieur Pagnol va-t-il replonger les spectateurs dans le style graphique très reconnaissable du réalisateur ?
Thierry Boutry : On reconnaît bien la patte de Sylvain Chomet, mais avec une approche légèrement plus réaliste, notamment pour les personnages, puisqu’il s’agit d’un biopic.
ToonBoom : Quels étaient les enjeux en termes de mise en scène ?
Côté mise en scène, nous avons suivi ses indications, mais certains plans étaient complexes à réaliser. Parfois, le storyboard se résumait à une simple vignette pour illustrer un mouvement de caméra, il fallait donc trouver des solutions tout en restant fidèle à sa vision. Sylvain était présent pour nous guider si nécessaire.
ToonBoom : Quels ont été les principaux aspects techniques et artistiques à prendre en compte tout au long du projet ?
Thierry Boutry : Sylvain Chomet tenait absolument à donner un effet papier au film. Le travail sur le brush était essentiel, tout comme l’aspect légèrement vibrant du trait, pour évoquer un film tourné de façon traditionnelle, en pellicule. S’adapter à cette exigence a été un vrai défi. Que François notamment a su tout à fait relever !
François Posson : Merci Thierry. Quand j’ai commencé à animer mes premiers plans, la directrice artistique, Lana Choukroune, avait déjà développé un brush sur Harmony. Il était conçu pour donner un rendu texturé avec une opacité variable selon la pression du crayon afin d’imiter un tracé au crayon de papier. En plus de l’animation elle-même, il fallait donc gérer le traitement du trait en temps réel. C’était une approche nouvelle pour moi. Au début, Lana retravaillait mes tracés, les gommant et les retraçant pour ajuster le rendu. Il m’a fallu un temps d’adaptation pour intégrer cette technique.
ToonBoom : L’animation du film, essentiellement en 2D, a-t-elle présenté des défis techniques particuliers ?
Thierry Boutry : Certains éléments comme les véhicules ont été réalisés en 3D. J’ai supervisé l’intégration de ces éléments qui étaient trop complexes à animer en 2D. Il fallait harmoniser ces éléments avec le reste du film pour éviter qu’ils ne tranchent visuellement avec les personnages. La 3D a été réalisée sous Blender, puis les modèles ont été intégrés dans Harmony où ils ont été retravaillés pour s’adapter au style du film.
ToonBoom : Combien de personnes ont travaillé sur l’animation ?
François Posson : Rien que pour l’animation, on était environ 80. Quand je suis arrivé, cela faisait déjà un an et demi, voire deux, que la production avait commencé, avec des tests d’animation dès la préproduction.
Thierry Boutry : Oui, en comptant animateurs, intervallistes et clean-up, l’équipe était composée de 80 à 100 personnes. Pour les décors, ils étaient une quinzaine.
ToonBoom : C’est le premier film parlant de Sylvain Chomet. Cela a-t-il eu un impact sur l’animation ?
Thierry Boutry : Oui, et ça parle beaucoup ! Je ne me souviens plus du temps exact de dialogue, mais c’est énorme ! Il y a des plans que les animateurs ont mis jusqu’à deux mois à terminer, surtout ceux avec plusieurs personnages. C’était très chronophage, mais le rendu est puissant.
François Posson : Et les plans sont longs. Certains vont jusqu’à 1000, 1500 frames, soit 30 à 40 secondes. Notamment toutes les scènes de théâtre…
ToonBoom : Ce projet vous a-t-il offert l’opportunité d’explorer de nouveaux aspects de vos métiers respectifs ?
Thierry Boutry : Oui, travailler sur un biopic en animation, c’était une première. On imagine plutôt ce genre de film en live-action avec un acteur incarnant Pagnol. Là, on devait tous devenir un peu documentaristes : comprendre comment Marcel Pagnol bougeait, mais aussi Fernandel, Raimu et toute la génération d’acteurs des années 30-40. Il fallait être le plus fidèle possible pour qu’on les reconnaisse instantanément à travers leurs mimiques et leur gestuelle. C’était une vraie épreuve pour les animateurs.
François Posson : En fait on n’a rien inventé ! (rires) Lana Choukroune a réalisé un travail incroyable pour caricaturer les personnages, assurer la cohérence des tenues, des objets, des instruments… Tout devait être fidèle.
Thierry Boutry : Le film couvre une grande période, de la fin du 19ème siècle jusque dans la deuxième partie du 20ème, donc les costumes et accessoires devaient toujours être justes. On devait pouvoir situer l’époque d’un simple regard, même sans indication de date à l’écran. Au souci de précision s’ajoutait la richesse du travail sur les costumes : Pagnol porte une cinquantaine de tenues différentes dans le film : vêtements d’été, d’hiver, de week-end… Certaines apparaissent juste pour deux ou trois plans. Il y a eu un énorme travail graphique sur les costumes et tout l’univers visuel.
François Posson : Et pour les décors, comme ce sont des lieux réels, on n’avait pas droit à l’erreur.
Thierry Boutry : Oui, tout se passe dans des endroits bien précis de Paris et Marseille. Le chef décorateur, Sébastien Morin, a fait un super travail pour recréer ces lieux avec précision.
ToonBoom : Y a-t-il un plan ou une scène en particulier qui vous a marqué pendant la production ?
François Posson : Oui, il y a un plan avec des pigeons (rires). C’est symbolique pour moi, car c’était mon tout premier plan en arrivant sur le projet. L’équipe avait vu mon court-métrage (NDLR : Gugusse, une histoire d’attaque de… pigeon) et s’est dit : « On va lui donner des pigeons ! » (rires) C’était un super point de départ. Et puis, il y a beaucoup de pigeons dans le film !
J’ai aussi eu la chance de faire les intervalles sur des plans animés par Xiaopeng Jiao, le lead animation. C’était un vrai plaisir de travailler sur ses plans, son travail est très, très impressionnant. C’était un style d’animation totalement nouveau pour moi, bien plus réaliste que ce que j’avais fait à l’école.
Toon Boom : La couleur est un des éléments-clés des films de Sylvain Chomet. Comment cet aspect a-t-il été travaillé sur ce projet ?
Thierry Boutry : La couleur joue un rôle fondamental dans son univers visuel et Lana a mis un point d’honneur à en préserver l’essence. Elle a supervisé tout le travail de mise en couleur, avec une équipe basée à Paris qui a établi les modèles chromatiques, avant que la mise en couleur finale ne soit réalisée au Luxembourg. Mais au-delà des couleurs, il y a aussi un véritable travail sur la lumière. Pour les scènes marseillaises, on voulait vraiment retranscrire l’ambiance lumineuse de la garrigue ce qui était visuellement très différent des scènes à Paris…
ToonBoom : En travaillant sur le film, qu’avez-vous appris sur Marcel Pagnol et son parcours artistique ?
Thierry Boutry : Il a commencé par l’écriture, avec un poème dédié à sa mère. Puis il a suivi des études pour devenir professeur d’anglais à Paris tout en nourrissant l’espoir d’écrire des pièces de théâtre. Il a revu à Paris Paul Nivoy, un ami du sud avec lequel il a coécrit sa première pièce. Ensuite, le succès est venu, notamment avec la pièce de théâtre Marius.
François Posson : Et le cinéma est arrivé tard dans sa vie.
Thierry Boutry : Oui, au départ, il n’était pas intéressé. À l’époque du muet, il le trouvait ridicule. Mais lorsqu’il a appris l’arrivée du cinéma parlant, il a fait un voyage à Londres pour voir…. C’est ce qui l’a convaincu de se lancer. À son retour, il savait qu’il voulait faire du cinéma.
ToonBoom : François, quel est votre rapport à l’univers de Pagnol ?
François Posson : J’adore l’humour de la trilogie marseillaise Marius, Fanny, Caesar. J’ai bien rigolé ! Je lisais les livres en parallèle d’animer les personnages, ce qui me permettait d’imaginer leur version cartoon. C’était une vision assez amusante.
Toon Boom : Quels sont vos prochains projets ?
François Posson : Je travaille actuellement avec Method Animation, un des labels de Mediawan Kids & Family, sur l’animation d’un très court métrage d’animation japonaise. Par la suite, si de nouveaux projets se présentent à moi au sein de Mediawan Kids & Family, c’est avec grand plaisir que je poursuivrai notre collaboration.
Toon Boom : Et vous, Thierry ?
Thierry Boutry : Tout en travaillant sur un projet de série, je collabore à une nouvelle production depuis mars. Il s’agit de la saison 3 de Minuscule sur laquelle je suis storyboarder. Il y aura 78 épisodes, c’est un beau projet !
