Lanimea : une école en harmonie avec la Normandie !

Interview réalisé par Veronique Dumon pour le compte de la société Toon Boom.

En 2019, Hélène Moinerie, animatrice et décoratrice layout, crée la première école d’images animées en Normandie, épaulée par la mairie de Caudebec-lès-Elbeuf, la Métropole Rouen Normandie et la Région Normandie. Lanimea, c’est son nom, vient d’intégrer en 2025 le RECA, le Réseau des Ecoles du Cinéma d’Animation, l’ambition est de communiquer une information fiable sur l’offre de formation à l’animation, à destination des familles, des futurs étudiants et des organismes d’orientation. Rencontre avec la Directrice Fondatrice de l’école qui ne manque pas d’idées pour son école et ses étudiants

Toon Boom : Hélène, qu’est-ce qui vous a amené à créer une école d’animation en Normandie ?

Hélène Moinerie : La vie ! Je me suis installée en Normandie avec ma famille en 2009, plus précisément dans l’agglomération d’Elbeuf, tout en continuant de travailler dans les studios à Paris en tant que décoratrice, motion designer, superviseure layout…. Pendant 10 ans, j’ai fait des allers-retours, avec deux jours à Paris et le reste du temps en télétravail, bien avant le Covid. Parallèlement, je donnais des cours de motion design à l’IUT d’Elbeuf, en section MMI (Métiers du Multimédia et d’Internet). Ça a duré 5 ans. Très souvent, les étudiant.es qui savaient que j’avais fait les Gobelins, venaient me demander ce qu’ils pouvaient faire pour entrer dans cette école prestigieuse parisienne et continuer leurs études en animation. Une petite idée a germé… A partir du constat qu’il n’existait pas d’école d’animation en Normandie. La rencontre avec Laurent Bonnaterre a fait le reste : le maire fraichement élu de Caudebec-lès-Elbeuf, passionné de BD, cherchait une initiative culturelle forte pour faire revenir les jeunes et l’emploi dans sa ville aux 10 000 habitants.  Le projet de Lanimea était lancé avec, pour l’accueillir, un lieu unique : une friche de la fin du 19ème siècle à réhabiliter.

Toon Boom : Comment définiriez-vous la pédagogie de Lanimea ?

HM : J’ai imaginé la pédagogie de Lanimea à partir de mon expérience personnelle. J’ai un background de technicienne avec un double cursus animation et layout storyboard effectué à Gobelins, l’école de l’image, en 95-97. A côté de cela, j’ai toujours eu une pratique artistique, que ce soit la danse ou la peinture. Il me semblait donc pertinent de combiner un solide enseignement technique pour que les jeunes diplômé.es soient immédiatement opérationnels dans les studios et une culture artistique et cinématographique qui permette aux étudiant.es d’appréhender tous les possibles en animation. Notre formation Bachelor animation sur trois ans se veut donc généraliste, avec du dessin, de l’animation 2D principalement sur Harmony, de la 3D sur Maya, et de la stop motion pour une approche de l’animation par la matière, pour développer une compréhension globale du mouvement et du rythme, en s’affranchissant des logiciels.

Toon Boom : En quoi votre projet était-il différent des autres écoles d’animation ?

HM : Avant de bâtir le projet, j’ai étudié les offres des différentes écoles et consulté les studios pour identifier les manques éventuels sur le marché du travail de l’animation. Le constat à l’époque, c’est que les studios utilisaient de plus en plus Harmony alors que les écoles formaient majoritairement les étudiant.es sur TV Paint, moins utilisé dans l’industrie de la série d’animation. Les studios étaient donc contraints de former les animateurs une fois embauchés. Il y avait là un manque ! Pour notre petite école, j’ai fait le choix de ne pas multiplier les logiciels. La formation est dès la première année axée principalement sur Harmony. La maitrise de ce logiciel complet, avec de l’animation, du cutout, du rig, de l’animation traditionnelle, du compositing, prépare les élèves au projet de film de commande en équipe en deuxième année, avant la réalisation de leur court métrage de fin d’études en troisième année.

Toon Boom : Quelles sont les qualités ou compétences que vous cherchez à développer en priorité chez les étudiant.es dès la première année ?

HM : Nous recrutons nos étudiant.es sur leur niveau en dessin ! Lanimea ne faisant pas partie de Parcours Sup, nous les sélectionnons sur leur portefolio accompagné d’une lettre de motivation. Les étudiant.es retenus passent ensuite une épreuve de dessin d’observation qui nous renseigne sur la qualité du trait, sa dynamique et la pertinence du regard et une analyse filmique qui permet pendant l’entretien final de confirmer l’appétence pour le cinéma, la capacité à décrypter et analyser une séquence. Je suis bien entendu sensible aux jeunes qui s’intéressent à tout, qui ont un intérêt pour diverses formes d’art et une pratique. Chaque année, nous avons des promotions de 20 étudiant.es de 18, 19 ans qui nous rejoignent.

Toon Boom : Comment est constituée votre équipe pédagogique ?

HM : La quasi-totalité de nos enseignants sont des professionnels qui travaillent dans les studios, des artistes et des spécialistes de l’art, et si possible de la région. C’est Sibille Wsevolojsky, médiatrice du musée des Beaux-Arts de Rouen et Quentin Bicheux, un historien conférencier de Rouen également qui dispensent les cours d’histoire de l’art. Freid Lachnowicz, un monteur de la région, donne le cours de montage. Je pense également notamment à Nathalie Latchimy, notre spécialiste Toon Boom, Mihaela Buzgan, animatrice et intervenante cut, ou Pierre Breton qui intervient en couleurs et développement visuel. Il y a aussi des intervenants qui viennent d’un peu plus loin comme Jean-Luc Ballester ou Andrea Rania qui intervient aussi à Gobelins à Paris. A l’origine de l’école, Babette Vimenet, ancienne responsable de la formation continue à Gobelins, venait enseigner le scénario. Babette, c’est une des premières personnes référentes de ma vie professionnelle et qui m’a accompagnée dans la réflexion initiale pour monter l’école. Aujourd’hui, Lanimea, c’est 3 permanents et 25 intervenants extérieurs, pour 82 élèves répartis entre une classe préparatoire et le Bachelor animation. On a limité les classes à 20 étudiant.es pour pouvoir favoriser un accompagnement de qualité.

Toon Boom : Justement, comment accompagnez-vous vos étudiant.es à l’issue de la formation ?

HM : Comme nos étudiant.es ne sont pas nombreux, nous avons la chance de bien les connaître individuellement. Nous savons repérer leurs points forts, leur appétence pour certaines disciplines plutôt que d’autres. Nous pouvons donc les orienter au plus près de leurs goûts, certains vers l’industrie, d’autres vers des plus petits studios, d’autres encore vers le film d’auteur plutôt que la série… J’ai par exemple encouragé un élève de la première promotion à rejoindre Sylvain Chomet sur son long métrage Marcel et monsieur Pagnol qui se fabriquait à Bayeux en Normandie (NDLR : en sélection officielle au Festival de Cannes et en compétition au Festival d’Annecy cette année). J’avais repéré ses qualités humaines et d’organisation qui étaient parfaites pour un poste de chargé de production. Au bout de quelques mois, il est passé assistant réalisateur ! Nous avons également mis en place une plateforme Discord où nous postons des offres d’emploi et nous taguons même les étudiant.es qui l’on considère parfaits pour le poste proposé. Mélanie Van Hooren qui est talent scout chez Brunch Studio est avec nous le vendredi pour faire le suivi des films de commande et de fin d’études. Elle conseille les élèves sur l’insertion professionnelle, la constitution de leur portefolio et de leur bande démo, la manière de se présenter… Enfin, nous organisons des job dating de 20 minutes avec des professionnels qui jouent le jeu, tels Emmanuel de Franceschi de chez Go-N et Céline Durieux de chez Fost. Grâce à ces différents dispositifs, nous avons un très bon taux d’insertion professionnel qui s’élève à 70%.

Toon Boom : Vous avez également monté un studio de fabrication, quelles en sont les raisons ?

HM : La raison est simple : étant donné que nous sommes les seuls à être identifiés animation dans la région, nous avons été pas mal sollicités pour travailler sur des projets locaux. Notamment par le musée d’Elbeuf qui nous a demandé de réaliser un film d’animation de 2 minutes. En tant qu’école, nous ne pouvions pas faire travailler les étudiant.es. C’est une question d’éthique. Nous avons donc décidé de monter une petite société de production avec un studio de fabrication que nous avons appelé Les Tisseurs d’Images. Cela nous permet de répondre à des appels d’offres en salariant des étudiant.es tout juste diplômé.es et en prenant en stage des étudiant.es en formation. En octobre dernier, nous avons fabriqué un tiers du court métrage d’animation La Case vide, de Thibault Chollet, produit par GASP ! Le producteur Olivier Chabalier est venu nous trouver car nous sommes éligibles au Fond d’Aide en Normandie et cela lui a permis de boucler le financement de son film. Coproducteur du film, nous avons monté une petite équipe avec deux anciennes élèves que l’on a salariées comme animatrice. Deux autres étudiant.es de 2ème année ont effectué leur stage. Le projet suivant est celui du long métrage Le Roman de Renart d’Anne-Laure Daffis et Léo Marchand, produit par Lardux Films. Nous allons monter une petite équipe de 4-5 personnes pour fabriquer l’animation papier crayon sur du papier à cornet de frites, qui sera notamment encadrée pour l’animation par l’animatrice réalisatrice Alix Fizet qui habite Rouen ! Avec Les Tisseurs d’Images, nous participons à ce que les jeunes puissent exercer sur le territoire.

Toon Boom : Quelles sont les perspectives pour l’école ?

HM : Etant donné la difficile conjoncture actuelle, je m’interroge sur la possibilité de créer un mastère qui donnerait aux étudiant.es un peu plus de temps d’apprentissage en attendant que le marché du travail soit plus favorable. J’aimerais également développer la formation professionnelle pour laquelle nous venons d’obtenir la certification Qualiopi et travailler à une meilleure visibilité du studio comme tremplin pour les jeunes diplômé.es. Je suis également concernée par la question du handicap et après avoir constaté la présence d’étudiant.es présentant des troubles autistiques, je réfléchis à la manière de faciliter leur insertion professionnelle. Ce sont des super bons techniciens et techniciennes mais ils sont tellement introvertis que l’idée d’un entretien d’embauche est compliquée. Ici encore, notre studio Les Tisseurs d’Images offre une vraie possibilité d’insertion pour eux.

Toon Boom : Dans cette période difficile pour le secteur de l’animation, sans oublier la question de l’IA, quelle vision avez-vous de l’avenir, et comment Lanimea s’y inscrit-elle ?

HM : Je pense que l’IA va bouleverser les métiers de l’animation mais cela me conforte dans l’idée que l’on doit former les jeunes à un outil, à savoir animer, réaliser, avoir le sens du rythme, de la narration mais aussi leur permettre de se construire un socle solide de connaissances artistiques et culturelles. Il va y avoir à mon sens un écart qui va se creuser entre une animation très low cost générée par de l’IA et une animation de qualité avec l’humain au cœur du processus pour raconter des histoires, échanger, proposer des nouveautés… Nous ne devons pas avoir peur des nouveaux outils mais bien continuer à être créatifs et audacieux pour et avec les jeunes générations !