Rencontre avec Patricia Robert, productrice, Julien Bachelet, lead compo, et Jean-Jacques Denis, co-réalisateur.

Interview réalisé par Veronique Dumon pour le compte de la société Toon Boom.

Retour aux sources du conte pour Ankama avec Princesse Dragon, leur 3ème long métrage

Ankama Animation présentera Princesse Dragon le 17 juin dans le cadre du Festival international du film d’animation d’Annecy.

Ce troisième film produit par la société d’Anthony Roux et Camille Chafer, implantée depuis 2001 à Roubaix, fait en effet partie des neuf longs métrages, parmi les plus intéressants en cours de production dans le monde, retenus dans les sessions de Work In Progress du festival cette année.

Un film à l’univers et l’esthétique très différents des œuvres proposées jusque-là par Ankama (la très populaire série Wakfu, Mutafukaz présenté en séance événement en 2017 à Annecy…).

Un retour inspiré aux sources du conte dont les très rares images aquarellées dévoilées pour l’instant ont déjà apporté une belle réputation au projet.

Échanges sur le processus créatif avec Patricia Robert, la productrice et Julien Bachelet, lead compo, du film et utilisateur familier d’Harmony.

Avec Princesse Dragon, Ankama investit un univers et une esthétique à laquelle elle ne nous avait pas habitué.es. Mais toujours en 2D

Patricia Robert : La 3D n’est de toute façon pas vraiment la culture d’AMKAMA. Et puis Anthony Roux et Jean-Jacques Denis, les réalisateurs voulaient faire un conte classique et voulaient, en termes de design des décors et des personnages, un traitement un peu aquarellé, pastel, et aussi un trait particulier avec un rendu très naturel. Personne n’a imaginé fabriquer le film autrement qu’en 2D.

A partir de ces partis-pris fondateurs, pourquoi avoir fait le choix d’Harmony ?

Julien Bachelet : Nous avons eu une première expérience concluante avec Harmony il y a deux ans sur la première saison de la série fantasy jeunesse Abraca (26×22’ pour France Télévisions). Elle nous a vraiment permis d’appréhender le logiciel, de comprendre ses points forts et ce qu’il pouvait nous apporter sur un projet comme Princesse Dragon.

Abraca est aux antipodes, mais c’était un projet ambitieux, avec un gros volume d’épisodes et il nous fallait un outil capable de nous permettre de réaliser la série de A à Z.

En termes de fabrication, les personnages sont des puppets, ce qui demande une grosse mise en place technique avant même d’envisager l’animation.

Ce n’est pas le choix qui a été fait pour Princesse Dragon

JB : Absolument, sur le film, nous avons fait le choix du tracing, du dessin « à l’ancienne ». Mais voilà, la force du logiciel c’est qu’il rend possible ces deux types de projets. On peut à la fois travailler en marionnettes comme on peut travailler en traditionnel, avec l’avantage de pouvoir s’affranchir de toutes les contraintes qui existaient à l’époque où l’on utilisait le papier et le crayon.

Et de pouvoir gagner beaucoup de temps.

Depuis cette première expérience, avez-vous eu besoin de demander des développements particuliers à Toon Boom avant de vous lancer dans la fabrication de Princesse Dragon ?

JB : Non, car tous les ans le logiciel s’enrichit. On a fabriqué Abraca avec la version 17 et l’on travaille aujourd’hui sur la version suivante qui est la version 20. Les innovations apportées constamment sont généralement très variées. On les suit et on fait une sélection par rapport au nouveau projet sur lequel on travaille.

Sur les dernières versions, en ce qui me concerne, c’est vraiment en termes de fluidité et de sécurité que j’ai constaté des évolutions. Il a gagné en stabilité.
Evidemment, en informatique on n’est jamais à l’abri d’une surprise, d’un logiciel qui crash. Mais sur ce point, Harmony qui était déjà stable est devenu très solide, ce qui permet de travailler confortablement et en toute fluidité.

Un argument supplémentaire en sa faveur pour l’adopter dans la fabrication de Princesse Dragon ?

JB : Harmony s’imposait déjà sur le projet parce qu’il nous permettait de travailler comme à l’ancienne tout en gardant la modernité qui est aujourd’hui, à mon sens, indispensable.
Le coté digital et tous ses atouts, particulièrement en termes de confort. La fluidité dont je parlais tout à l’heure, la quantité de fichiers que l’on peut gérer, la facilité avec laquelle on peut les basculer d’un pôle à un autre tout au long de la chaine de fabrication. Avec Harmony c’est vraiment aisé.
Et puis, il y a la « qualité » du trait.

Ce trait au style crayonné que vous recherchiez pour le film ?

JB : Oui. Avec d’autres logiciels du marché qui font du vectoriel et que l’on utilise sur d’autres projets, on obtient un trait très lisse, parfait. Pour essayer de reproduire un trait plus proche de ce que pourrait créer par exemple, un fusain, c’est possible, mais ça demande tout de suite beaucoup de ressources. Les fichiers deviennent très vite lourds à travailler, avec un risque de données corrompues donc des fichiers inutilisables. C’est très risqué, on est vite sur le fil du rasoir.
Sur nos productions ou vraiment le coté vectoriel assumé est de mise, un autre outil s’impose qui permet de garder cette qualité vectorielle jusqu’au compositing.
Mais encore une fois, les réalisateurs de Princesse Dragon avaient cette envie d’un trait quasi naturel. Patricia utilisait ce mot-là tout à l’heure et il est très juste. Harmony aujourd’hui propose des outils qui sont vraiment exceptionnels pour ça. Qui permettent de tracer un trait en temps réel sur une tablette ou autre sans aucune latence, de manière fluide exactement comme sur papier. Tout en conservant les avantages du vectoriel.

Trouver le « bon » trait était une partie importance de la préparation ?

JB : Nous avons fait beaucoup de tests pour trouver le trait que l’on allait adopter. Il y a eu pas mal d’allers et retours, de techniques différentes essayées. Il a fallu définir si ces techniques étaient compatibles avec notre budget, le temps qui nous était imparti, même avec les équipes qu’on n’avait pas encore constituées à cette époque-là… Et puis, quand on remet tous ces éléments dans le contexte de la crise sanitaire, ce n’était pas forcément si facile de trouver des artistes capables de s’adapter aux exigences de ce projet.

Car vous avez commencé la fabrication du film juste avant la pandémie ?

PR : Nous avons commencé le film en septembre 2019, donc nous avons subi les deux confinements. Le film a été fabriqué sur trois sites principaux : à Roubaix chez MadLab, le studio créé par Ankama et Média-Participations, chez Akami à Paris, le studio parisien d’Ankama, et à Montréal, chez Caribara. Le studio d’Ankama No Border à Tokyo a participé à la modélisation du Dragon.

Sur l’ensemble des différents sites, le travail s’est organisé à la fois à distance et au sein des studios tout au long de la fabrication, en respectant les consignes propres à chaque pays.

Est-ce qu’Harmony, par temps de crise sanitaire, a des avantages particuliers ?

JB : Il a énormément d’avantages à ce niveau-là. Harmony permet le fonctionnement en offline où l’on peut travailler sur une machine personnelle, ou un ordinateur au studio en restant dans un circuit fermé on va dire. Ou alors en online qui permet, grâce à un serveur, de travailler à plusieurs studios sur la même base de données. C’est vraiment le cœur d’Harmony, son premier atout.

Qui le reste en dehors de ce type de situation inédite, puisque que beaucoup de productions sont fabriquées sur plusieurs sites.

JB : En fait c’est utile à partir du moment où, ne serait-ce qu’une partie du projet est externalisée. C’est une fonction très importante qui permet, quelle que soit la position géographique des studios, de pouvoir rassembler tout le travail en temps réel.

Et en termes de sécurisation de transmission des données ?

JB : La sécurité est toujours très importante pour un studio. En temps de crise sanitaire ça l’est encore plus parce qu’énormément de données transitent par internet tout au long de la journée et la nuit pour les sauvegardes.

PR : Nous n’avons rencontré en tout cas aucun problème de cet ordre.

JB : Tout a effectivement très bien fonctionné. Alors qu’on aurait pu imaginer rencontrer inévitablement des problèmes, il n’y en a quasiment pas eu.

A quelle étape de la fabrication du film êtes-vous arrivés ?

PR :  Nous avons terminé l’animation et le compositing et nous en sommes au montage.

Combien de personnes ont travaillé sur l’animation ?

PR : Nous avions une équipe d’une vingtaine d’animateur.ices à Paris pour toute la partie rough anim et quelques assistants. Une équipe d’une dizaine d’assistant.es qui faisaient le clean et les intervalles chez MadLab, et une équipe de 5 personnes à la colorisation. 20 minutes du film ont été également animées à Montréal, chez Caribara, par une équipe d’une quinzaine de personnes.

Plus l’équipe de Julien au niveau du compositing.

JB : Nous étions 10.

PR : Ce n’est pas une grosse équipe, mais en organisant la production sur deux ans, nous n’avions pas besoin de plus.

Que est le calendrier des prochaines étapes

Nous sommes donc en train de faire le montage à Roubaix. Ensuite ce sera au tour du bruitage au mois de juin.

La musique, déjà composée chez Ankama, sera enregistrée à Budapest avec un orchestre symphonique au mois de juillet. Puis on fera le mixage chez Titra Films début septembre.

Pour une livraison prévue ?

PR : fin septembre.

En attendant, vous avez été sélectionnés pour présenter le film lors d’une des sessions WIP du festival d’Annecy dans quelques jours. En quelques mots, que pourrons nous y voir ?

PR : Avec Jean-Jacques, Anthony et Sonia Demichelis qui a créé le design des personnages, nous reviendrons sur la genèse du projet, le scénario, les phases de fabrication designs, animatique, animation, décors, musique. Nous ferons un point production (partenaires, planning…) et nous présenterons pour, la première fois, un extrait de 5 mn du film.

3 questions à Jean-Jacques Denis, co-réalisateur

Pour ce troisième film d'Ankama, Anthony Roux et vous avez choisi de proposer un conte "classique". Quelles sont vos sources d'inspiration et les thèmes forts que vous y abordez ?

Pour le dessin on s’est replongés dans les visuels classiques, gravures, illustrations des contes d’autrefois, Gustave Doré, Arthur Rackham… Surtout pour se rafraichir les idées et parce que ç’était stimulant, afin de revenir vers quelque chose d’un peu plus naturaliste. Au final, le résultat est assez distant des références, mais ces inspirations ont nourri d’une certaine façon le film.

Nous avons voulu aborder la question de la valeur des choses, des biens et des liens… La place de l’enfant dans sa famille. Et au travers des héroïnes, la naissance et la force de l’amitié ainsi que le rapport aux parents et à leurs attentes.

Pourquoi le choix de la 2D sous Harmony pour porter cette histoire originale ?

La question de faire le film autrement qu’en animation 2D ne s’est pas posée, même si nous utilisons occasionnellement la 3D de façon ponctuelle ou spécifique

La question s’est plus posée sur le style et le type de rendu voulu. Là encore, très vite, on s’est orientés vers un genre trait crayon et aquarelle pour les décors.

Le choix d’Harmony s’est imposé pour l’animation traditionnelle car il nous offre une large souplesse au niveau du trait, qu’il soit vectoriel ou non. Il est donc très efficace pour l’animation et la mise en couleur des personnages.

Après la déception Dofus, que représente Princesse Dragon pour Ankama et dans votre parcours professionnel ?

Une occasion de rebondir, de se diversifier, d’explorer un style résolument différent.

C’est un beau pas de plus…