Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? : quand l’animation adapte un « monument du dessin ». 

Interview réalisé par Veronique Dumon pour le compte de la société Toon Boom.

Sorti le 12 octobre dernier en salles en France (300 000 entrées fin novembre), en Belgique et au Luxembourg, le long métrage co-réalisé par Amandine Fredon et Benjamin Massoubre n’en finit pas de courir les festivals et entraîne depuis des mois ses deux réalisateurs dans une joyeuse équipée autour du monde.

Fabriqué en 2D avec Harmony entre la France et le Luxembourg, le film, coproduit par ON Classics (Mediawan Kids & Family) et Bidibul Productions, après une Sélection officielle en séance spéciale au Festival de Cannes, a déjà remporté le prestigieux Cristal du long-métrage au Festival International d’Annecy, le prix de la Meilleure musique de film au Festival Cinéma & Musique de film de la Baule, le Grand Jury Prize au Animation is Film Festival de Los Angeles, l’Audience Prize International Competition Feature Film au Bucheon International Animation Film en Corée du sud, le Coup de cœur du jury pour un long métrage, l’Etoile de la meilleure bande son dans un long métrage et une Mention spéciale pour Simon Faliu dans le rôle du Petit Nicolas au Festival Voix d’Etoiles à Leucate, le Golden Punt Best Fiction Feature au Cambridge Film Festival…

Et il est fort possible que ce ne soit pas terminé. Car cette variation, co-écrite par Anne Goscinny, autour du personnage emblématique du Petit Nicolas mais aussi de l’enfance troublée et de la belle amitié de ses deux auteurs mythiques, René Goscinny et Jean-Jacques Sempé, décédé quelques mois avant la sortie du film, a su toucher le public. Notamment à travers son univers graphique fidèle à l’œuvre originale du second.

Rencontre avec celui qui a relevé le défi d’adapter le trait de Jean-Jacques Sempé, Fursy Teyssier, Directeur artistique, et Sébastien Hivert-Mallet, 1er assistant réalisateur et responsable couleur animation.

Toon Boom : Comment es-tu arrivé sur ce projet, Fursy ?

Fursy Teyssier : En travaillant sur J’ai perdu mon corps, le film de Jérémy Clapin produit par Xilam sur lequel j’étais lead background 3D/2D, j’ai rencontré Lucie Bolze, la directrice exécutive (aujourd’hui Directrice générale de la nouvelle structure Xilam Films) et Benjamin Massoubre, qui était au montage. Nous avons sympathisé et, quand Benjamin est arrivé sur le projet du Petit Nicolas dont Lucie était déjà productrice exécutive, ils ont pensé à moi pour la direction artistique.

Toon Boom : Sébastien, toi tu as commencé en passant un test couleurs.

Sébastien Hivert-Mallet : J’ai été appelé effectivement, en octobre 2020, pour faire un test de couleurs anim sur Harmony. J’avais déjà beaucoup pratiqué le logiciel -la première fois en 2014, avec Vivement Lundi ! sur la série Bienvenu à Bric à Broc-. Il n’était pas encore totalement répandu dans les studios mais c’est ensuite venu assez rapidement.

J’ai aussi joint à mon test des pistes de compositing directement dans le logiciel, en liant couleurs, animation et compositing, pour arriver au rendu aquarelle qu’ils recherchaient. A la vue de ce début de construction de pipeline, ils m’ont proposé le poste de premier assistant qui n’était pas encore pourvu.

Toon Boom : Fursy, après avoir beaucoup travaillé sur des projets jeunesse (NDLR : Maya L’Abeille pour Studio 100 Animation, Lulu Vroumette chez Mondo TV, Flapacha ou Paprika avec Xilam Animation…), tu disais vouloir arrêter pour t’adresser aux adultes. Pourquoi avoir accepté dans ce cas la proposition ?

Fursy Teyssier : La licence forte du Petit Nicolas et la perspective de travailler sur l’univers de Sempé m’intéressaient. Mais aussi et surtout l’envie de travailler avec Lucie et Benjamin. J’ai tout de suite accepté, mais les enjeux étaient immenses. Adapter Sempé, c’était un truc fou.

Et ce qui m’a plu, c’est qu’immédiatement, en me pitchant le film qu’il avait en tête, Benjamin m’a dit qu’il voulait évidemment mettre en scène le Petit Nicolas, qui d’ailleurs touche les adultes comme les enfants, mais aussi couper le récit en deux pour parler de ses auteurs. En amenant une approche cinéma et des références aux films des années 60-70. Et là je pourrais m’éclater au niveau des lumières, des ambiances. Ça m’a vendu le projet !

Toon Boom : Cette idée de scénario a mis du temps à prendre sa forme actuelle ?

Fursy Teyssier : Je sais que Benjamin a adoré cette idée qu’Anne (NDLR : Anne Goscinny, co-scénariste et fille de René Goscinny) et Michel Fessler avaient déjà apportée. Mais en travaillant avec eux à l’écriture, il a accentué la place accordée à Sempé et Goscinny.

Toon Boom : Avec un parfum de nostalgie qui irradie tout le film ?

Fursy Teyssier : On s’est dit avec Benjamin et Amandine que l’on avait un peu envie de faire une sorte d’équivalent d’Amélie Poulain. Avec un Paris idéalisé.

On parle de deux auteurs qui ont créé un gamin pour essayer de vivre à travers lui l’enfance qu’ils n’avaient pas eue. On voulait quelque chose de très positif et de très lumineux pour ce film.

Toon Boom : Tu parlais d’enjeux énormes tout à l’heure. Comment as-tu abordé ton travail sans te laisser écraser par ce monstre sacré du dessin qu’est Sempé ?

Fursy Teyssier : Ah mais j’ai commencé par me laisser envahir en réalité. Le début n’a pas été facile du tout. Ça faisait longtemps que je ne faisais plus de couleurs pour un univers enfantin. (NDLR : Fursy a travaillé non seulement sur J’ai perdu mon corps,  mais aussi sur la série De Gaulle à la plage avec Cube Creative et développe actuellement MELVILE, un long métrage pour adultes produit par Need Productions et Special Touch Studios qu’il co-réalisera avec Romain Renard, l’auteur de la BD éponyme dont il est adapté).

J’étais habitué à faire des choses assez sombres, des couleurs assez désaturées, c’est mon univers. Et quand je me suis attaqué à Sempé, mon idée était de ne pas du tout y mettre de moi. Ou le moins possible mais qui, dilué dans le travail des équipes, allait se perdre.

Je me suis dit qu’il fallait vraiment analyser concrètement ce que Sempé a fait, comment il dessine. J’ai regardé tous ses livres, j’ai compris et décrypté son style de trait en fonction des époques. Ça m’a permis d’identifier deux styles assez marqués, dont on s’est servi plus tard pour différencier l’univers du petit Nicolas et celui des auteurs au sein des saynètes.

Sébastien Hivert-Mallet: On a effectivement beaucoup travaillé là-dessus et on en a choisi trois traits différents : celui de l’univers de Nicolas, un trait crayonné pour les dessins d’esquisses de Sempé et un trait à la plume pour l’univers des auteurs.

Il faut savoir que lorsqu’il a travaillé sur l’univers du Petit Nicolas, les dessins de Sempé étaient assez ramassés, synthétiques et conçus pour être imprimés en petit. En les agrandissant ça donnait l’impression d’avoir grossi une photocopie. C’était très intéressant d’avoir un trait qui était plus dégradé car ça faisait vraiment partie de l’univers du Petit Nicolas. A l’inverse, toutes ses illustrations pour adultes faites notamment pour le New Yorker, et qui ont servi de base d’inspiration à l’univers des auteurs, étaient réalisées sur des grandes feuilles qui sont restées au format voire plutôt rétrécies. Tout cela a nourri notre réflexion autour de l’épaisseur qu’on allait donner à la plume dans les différents univers du film.

Fursy Teyssier : En faisant ce travail d’oubli de soi, en me disant « tu oublies toutes tes règles de dessin », j’ai dû apprendre à dessiner à la façon de Sempé. Trouver ses tics, sa manière de styliser, de tenir le pinceau. J’ai regardé des vidéos pour voir s’il dessinait vite, ou lentement, en tenant la plume prêt ou loin du papier.

Le plus important c’est le trait, sa composition de l’image qui est au cœur de son travail. Puis, petit à petit, j’ai amené de la couleur. Un assez gros défi pour moi, une étape qui a pris du temps.

Toon Boom : Mais c’est très réussi.

Fursy Teyssier : Merci !

Toon Boom : Sébastien, comment voyais-tu les choses quand on t'a proposé de faire ces tests couleurs ? Est-ce que tu avais déjà une vision un peu précise de ce que tu voulais leur proposer ?

Sébastien Hivert-Mallet: Au départ je pensais à des choses assez aquarelles aux teintes assez passées mais ça ne marchait pas vraiment avec le film. Le résultat était trop terne, c’est avec le temps qu’est venu l’idée de partir sur des couleurs assez simples et primaires dans l’univers du petit Nicolas. A la base cet univers est noir et blanc. Mettre de la couleur nous donnait l’impression de trahir la vision de Sempé. Mais d’un autre côté c’était nécessaire pour le film, sinon le public enfant ne se serait pas retrouvé dans un film sans couleur.

Il fallait aussi savoir où et comment la placer dans l’image pour que ça raconte cette touche un peu tâche, afin de retrouver cette sensation artisanale dans la fabrication. C’est un motif qui a servi aussi sur la mise en couleur anim des personnages. On voulait un bord de cerné blanc pour donner la sensation d’une couleur vivante, répondant au trait qui vibre un peu. Elle n’était donc pas appliquée à la perfection à l’intérieur des traits mais toujours un petit peu à côté, comme si on avait un peu mal colorié.

On s’est aussi très vite rendu compte que les personnages existent par ce qui est dessiné, mais aussi par ce qui ne l’est pas. Dans les dessins de Sempé, la nuque de Nicolas est très rarement dessinée au trait par exemple. Généralement le cou n’est pas rattaché au col, on a des espaces qui sont tout le temps ouverts. Idem au niveau des épaules. Ça nécessitait que ces formes qui ne sont jamais dessinées deviennent présentes à l’image grâce au placement de la couleur. Ça a été un point très délicat pour nous, sur lequel nous avons beaucoup travaillé.

Toon Boom :  Vous ne vous êtes pas facilités la tâche en « inventant » des traits qui n’existaient pas ?

Sébastien Hivert-Mallet: Non, bien sûr, nous avons laissé les traits ouverts. Ça nécessitait de mettre en couleur à la main pour fermer les formes avec la couleur. On a d’ailleurs eu recours à des assistants-animateurs comme profils plutôt que des coloristes car il ne fallait pas juste remplir les espaces, mais finir de les dessiner aussi. Ça été un très gros travail.

Toon Boom : Vous avez trouvé facilement ces profils de coloristes ? Combien de personnes composaient l’équipe ?

Sébastien Hivert-Mallet: Une petite dizaine au studio Train-Train à Lille. Au départ, je leur ai donné les premiers plans qui servaient de modèle pour la mise en couleur des personnages. Ils ont vite gagné en autonomie. Le travail se faisait toujours sur les retake, sur les placements de limites à de la couleur, la manière de terminer le volume. C’est essentiellement là-dessus que nous nous sommes concentrés.

Fursy Teyssier : Et parallèlement au développement de la couleur, on a aussi compris que si tu veux réaliser un film qui colle au trait de Sempé, il faut accepter des contraintes de mise en scène. C’est ce sur quoi on a travaillé avec Benjamin et Amandine.

Tu ne peux pas faire de premier plan par exemple. C’est toujours un dessin un peu vu d’en dessus, avec une perspective toujours orientée d’un côté, jamais de grandes fuyantes au milieu. Des personnages dont on a l’impression qu’ils flottent un peu, ou qu’ils marchent sur la pointe des pieds.

Toon Boom : une certaine légèreté…

Fursy Teyssier : C’est ça. On a l’impression qu’ils sont toujours un peu poussés par le vent. Il était droitier et tout son monde penche un peu vers la droite. Et quand il m’arrivait de faire des dessins trop droits, je m’appliquais à les retravailler pour les faire légèrement pencher.

Toon Boom : tout ça avec une certaine pression j’imagine ?

Fursy Teyssier : Avec beaucoup de pression car tu t’attaques à un monument du dessin. Et son travail n’est pas juste minutieux, c’est aussi d’une immense et incroyable maîtrise. Il dessine parfaitement des personnages en volume ; Ses structures, ses bâtiments, sont hyper solides en termes de construction de dessin, c’est juste stylisé à sa manière. C’est très impressionnant !

Toon Boom : Autre parti pris graphique qui amène une grande légèreté au film, son cadre « ouvert ». Ce large blanc autour de la scène.

Fursy Teyssier : Ça aussi c’est Sempé qui « nous l’a imposé ». Il n’y a pas de contours aux dessins du Petit Nicolas et si l’on voulait respecter son travail, c’était obligatoire pour nous de conserver ce principe.

Mais ça nous a posé un gros problème pour les mouvements de caméra ! Il a fallu trouver une méthode pour pallier l’absence de lignes directrices et on a eu beaucoup de mal au départ.

Ça a été un gros travail de développement technique, très fastidieux, totalement spécifique pour ce film. Mais on a enfin trouvé au tout dernier moment !

Sébastien Hivert-Mallet: Ça a été en effet long de trouver l’équilibre entre quelque chose qui fonctionne visuellement et un principe qui soit facile à mettre en production et à fabriquer.

C’est le problème avec ces esthétiques qui ont l’air simple de prime abord, alors qu’il y a beaucoup de choses à mettre en place pour obtenir un rendu fidèle. Il faut passer par plusieurs étapes.

Par exemple, Sempé c’est du dessin à la ligne. Elle est tellement importante qu’elle exprime beaucoup de choses quand elle est là et elle en exprime tout autant lorsqu’elle est absente.

Une des caractéristiques très importantes de ses compositions est que le dessin du décor s’arrête avant de venir en contact avec les personnages. Il fallait donc trouver des solutions pour que la ligne s’efface à leur approche et se recompose par la suite.

C’était simple avec les personnages, mais il fallait que ça fonctionne aussi avec les mouvements de caméra comme le disait Fursy. Car on ne pouvait pas laisser le dessin atteindre le bord du cadre pour respecter l’univers en vignettes du Petit Nicolas. Il a donc fallu trouver des solutions aussi pour que le dessin garde son effet organique et qu’il existe autant quand il est présent que lorsqu’il s’efface.

Fursy Teyssier : En fait, quand la caméra va bouger dans l’univers du Petit Nicolas, des tâches d’encre se matérialisent et partent dans la direction voulue en faisant apparaître le décors suivant, tout en conservant ce que l’on appelle la vignette blanche autour du dessin. Nous avions envie de retrouver la sensation que c’est Sempé qui dessine. Progressivement, il ajoute de l’encre, il fait un trait… Et on a animé tous ces éléments.

Toon Boom : Sébastien, on dirait que c’était une belle proposition ce poste de 1er assistant réalisateur.

Sébastien Hivert-Mallet: Oui, c’était une très belle proposition. Contrairement à Fursy, je ne connaissais globalement personne dans l’équipe créative en arrivant. J’ai vraiment rencontré tout le monde sur le film. Nous avons appris à nous faire confiance et à travailler ensemble. C’était une très belle expérience. Tout le monde s’encourageait, proposait des choses pour essayer d’aller plus loin et de repousser les limites de ce qu’on pouvait faire.

« Formidable ! Quel travail ! » Sempé

Fiche technique

Un film en animation de Amandine Fredon et Benjamin Massoubre

D’après l’œuvre de René Goscinny et Jean-Jacques Sempé

Synopsis : Penchés sur une large feuille blanche quelque part entre Montmartre et Saint-Germain-des-Prés, Jean-Jacques Sempé et René Goscinny donnent vie à un petit garçon rieur et malicieux, le Petit Nicolas. Entre camaraderie, disputes, bagarres, jeux, bêtises, et punitions à la pelle, Nicolas vit une enfance faite de joies et d’apprentissages. Au fil du récit, le garçon se glisse dans l’atelier de ses créateurs, et les interpelle avec drôlerie. Sempé et Goscinny lui raconteront leur rencontre, leur amitié, mais aussi leurs parcours, leurs secrets et leur enfance.

D’après l’œuvre de René Goscinny et jean-Jacques Sempé

Réalisation : Amandine Fredon et Benjamin Massoubre

Adaptation et dialogues : Anne Goscinny, Michel Fessler et Benjamin Massoubre

Musique Originale : Ludovic Bource

Auteur Graphique : Jean-Jacques Sempé et Juliette Laurent

Directeur Artistique : Fursy Teyssier

Directrice d’Animation : Juliette Laurent

Avec les voix de Alain Chabat, Laurent Lafitte de la comédie-française et Simon Falliu

Une production ON Classics (Mediawan Kids & Family), Bidibul Productions

Distribué par BAC Films

Ventes internationales par Charades