Redfrog : un studio d’animation au cœur de l’Europe

Interview réalisé par Veronique Dumon pour le compte de la société Toon Boom.

Depuis plus de 10 ans, Studio Redfrog crée de l’animation pour des sociétés de production, françaises et étrangères, et produit ses propres projets depuis Les Hauts-de-France. Lahcen Bahij et Nicolas Haye, les fondateurs, respectivement Président et Directeur artistique, continuent à y déployer leur activité, notamment à l’international, avec l’ambition de devenir un studio de référence, au nord de Paris et au cœur de l’Europe.

Et de participer à l’élargissement du vigoureux écosystème qui se déploie autour de l’image animée et de la création numérique dans leur région.

Une quinzaine de permanent.es et une équipe de plus de 80 talents travaillent notamment à leur troisième production, La Vie en slip, une comédie pour les 6-9 ans, adaptée de la bande dessinée de Steve Baker, diffusée sur CANAL + KIDS à partir du 29 août 2022.

Un studio profondément ancré dans sa Région, Les Hauts-de-France

Pourquoi prendre le risque de créer, il y a plus de 10 ans, un studio d’animation sur un territoire où elle était assez peu présente ? Pour Lahcen Bahij et Nicolas Haye, la réponse est simple : pour pouvoir travailler en restant dans leur région, et permettre aux jeunes talents formés localement de trouver leur premier emploi.

« Il y a une vraie création artistique dans cette région transfrontalière franco-belge depuis des années, à la fois en illustration et BD, mais plus largement dans les domaines de la culture et de l’art » explique Lahcen. Dès 2007, il a en tête que l’animation se développera sur ce territoire. « 12 ans après, en 2022, quand l’on voit les sociétés qui viennent s’installer : Cyber Group, Watch Next, Je Suis bien Content, Tchack… Et les écoles implantées que sont Rubika, Pôle 3D, l’ESAAT, ARTFX… je n’ai pas eu tort ».

L’idée pour Redfrog est de fidéliser dans la région un vivier de 1000 à 1500 intermitent.es du spectacle dans lequel les studios puissent recruter au gré de leurs besoins. En comptant sur la formation d’environ 400 ou 500 artistes par an, en 10 ans, Lahcen compte sur un potentiel de 5 000 personnes prêtes à travailler dans les secteurs de la production audiovisuelle, du jeu vidéo et du contenu web.

Autre cheval de bataille du dirigeant : jouer la carte de la relocalisation en France. En mettant en avant la qualité et la simplification du suivi de projets « à domicile » sur un même fuseau horaire face à un coût moindre mais souvent assorti de difficultés.

« Nous avons la chance, en 2022 et depuis une dizaine d’années je dirais, d’avoir en région des talents qui peuvent être reconnus à l’international. TAT en est un exemple pour Toulouse, Folimage à Valence et Studio Redfrog peut l’être pour le nord de la France ».

Lahcen décide très tôt de devenir producteur. Après une formation de juriste d’affaire et un 3e cycle DREAM, la filière « audiovisuel et multimédia » de l’Université de Valenciennes, il commence un parcours dans l’Internet, le mobile et l’audiovisuel. En guise de premier projet, il crée, à la demande de Jean-Louis Borloo à l’époque maire de Valenciennes, une chaîne de télévision locale développée en partenariat avec la ville, la Chambre de commerce et l’Université.

Début 2000, il s’implique dans le digital, convaincu de sa complémentarité avec l’audiovisuel. Il est recruté par le studio Teachman et adapte en série d’animation, pour Canal + et Fox Kids, le jeu en ligne Banja.com avec le premier héros noir rasta d’internet.

C’est à ce moment-là qu’il rencontre Nicolas Haye, issu lui aussi de l’univers Flash et designer/animateur 2D sur la série.
Normand passé par la Bourgogne, Nicolas est arrivé à Roubaix quelques années plus tôt pour étudier entre 1999 et 2001 à l’ESAAT, l’une des rares formations publiques qui offrait un cursus en animation, le DMA cinéma d’animation (aujourd’hui DN MADe Cinéma d’Animation, ou Diplôme national des métiers d’art et du design mention animation).

Toujours resté en lien avec l’école, il offre aujourd’hui à ses étudiants des stages, participe avec Redfrog à l’année spéciale en alternance qu’elle a mis en place et recrute largement parmi ses alumni. Une parfaite illustration de l’écosystème vertueux régional cher à Redfrog.

En 2007 ils fabriquent ensemble, au sein de IP4U, la première structure créée par Lahcen à Lille, Les Mistigris. Une série pour TF1 produite avec Patoon Animation (Patricia Robert), et distribuée par Cyber Goup.  Nicolas dirige le studio, le premier studio 2D digital Toon Boom Harmony en France. « C’était une solution qui nous permettait d’obtenir le rendu graphique que l’on recherchait sur cette production, et plus spécifiquement, une texture particulière sur les tracés vectoriels » explique Nicolas. Peu de gens connaissaient à l’époque le logiciel en France et ils organisent des formations pour l’équipe de 45 personnes qu’ils viennent de recruter, dont certaines ne connaissent pas l’animation.

« Pour nous, ça a été la mise en place d’un pipeline de production pensé avec une solution de serveur centralisé » précise Lahcen. « Puis, du métier de prestataire de services, en 2010 sur la base d’un brief Disney, on a créé Redfrog avec Nicolas et notre première propriété intellectuelle, Le Quiz de Zack (Une coproduction avec Ellipsanime de 104 x 4’ diffusée sur Disney Junior). Notre envie était de construire une entreprise sur la créativité ».

Créer et produire ses propres programmes

Depuis quelques années, Redfrog a renforcé cet autre pilier de son activité avec la mise en place d’un département Développement piloté par Clément Le Strat, transfuge de Disney, et Nicolas.

Objectif à terme : avoir un rythme de trois productions en cours et deux prestations de service par an avec une équipe de 200 à 300 personnes.

Un but que Lahcen et Nicolas ambitionnent d’atteindre en 2026, sachant que le studio travaille déjà actuellement sur deux productions et cinq projets en développement. Et que la conjoncture est très favorable aux contenus d’animation.

Après Le Quiz de Zak, évoqué précédemment, et Mick le Mini Chef (26 x 7’), une série associant prise de vue réelle et animation 3D pour France Télévisions dont la deuxième saison est en cours de production, le studio est actuellement en pleine production de son troisième projet, La Vie en slip. Une comédie de 52 x 11’ pour les 6-9 ans destinée à Canal+, adaptée de la bande dessinée de Steve Baker (éditions Dupuis) entièrement fabriquée à partir de la suite Toon Boom.  « Du storyboard jusqu’au compositing, tout notre workflow a été conçu sous Storyboard Pro et Harmony. Le serveur centralisé, l’intégration de toutes les fonctions sous une même suite qui minimise les bugs possibles, les déformeurs… Toutes ces fonctions sont particulièrement précieuses » indique Nicolas.

La Vie en slip : c’est trop cool !

Fans de cette bd atypique, nous avons travaillé sur La Vie en slip que nous avons présenté au Forum Cartoon ». Le projet plaît à Canal+ qui décide de le rejoindre.

« Nous avons embarqué sur le développement Jérémie Guneau, un réalisateur qui nous a vraiment bien accompagné. Il a permis de mener à bien cette phase en collaboration avec Canal qui a signé la production dans la foulée » souligne Nicolas.

Déjà engagé sur la série Mike une vie de chien chez Teamto, le réalisateur passe le flambeau à Nicolas Le Nevé, ancien de chez Xilam, créateur des Contes de Lupin, qui rejoint l’équipe en 2020 pour réaliser la série.

Les strip de la BD de Steve Baker (trois tomes édités et des publications dans Pif Gadget entre 2006 et 2008, puis dans Spirou depuis 2009), ravi qu’elle soit portée à l’écran, ont donc permis de créer les 52 histoires de la série. Jipé, Issa et Pedro, ses trois héros, y ont gagné une famille et de nouvelles aventures joyeusement foutraques dans lesquelles ils poursuivent un objectif : devenir les plus cools au monde pour la rentrée qui se profile au lendemain des grandes vacances.

« En fait, ils se retrouvent dans une situation que l’on a tous connu » explique Lahcen. « Quand on termine le CM2, on est les grands des petits. Et quand on rentre en 6e, on est les petits des grands. On a voulu exploiter cette phase pendant laquelle on se projette dans ces collégiens qui ont tous l’air cool et où l’on se dit que le pire serait de passer pour un looser. Je me reconnais en eux ».

Canal+ a approuvé avec enthousiasme les 52 scénarios et Redfrog a réussi à pré-vendre cette œuvre franco-belge, sur la simple base d’un animatique, à Turner Italie et ITV en Angleterre. Une preuve pour lui du niveau de comédie qu’ils ont réussi à atteindre. « Nous sommes allés chercher des compétences sitcom notamment auprès de Simon Lecocq, co-auteur de la bible littéraire, de Romuald Boulanger (Mère et fille pour Disney…) qui a écrit les premiers scénarios, de Benjamin Le Bars (Paf le chien de Superprod…), le directeur d’écriture, pour un résultat ultra performant en termes de comédie ».

Une histoire de garçons faite par des garçons ? « C’est vrai qu’en l’occurrence, on cite beaucoup d’hommes. Mais il y aussi Simone, Zoé, Dyvia, Mme Ronpichon  dans la série ! Et beaucoup de scénaristes comme Alice Boucherit, Laura Macler ou Sophie Lobwitz ont écrit les histoires de nos trois losers. Et aujourd’hui, dans le studio, il y a plus de filles que de garçons » répondent en cœur les deux associés. « Nous faisons tout notre possible pour maintenir la parité » rajoute Lahcen.

La production de La Vie en slip est 100% européenne, entre la France et la Belgique où Redfrog a ouvert en 2019 dans la banlieue de Bruxelles son deuxième studio, Redfrog Belgium. Un moyen de bénéficier des talents et des aides financières de chaque côté de la frontière de cette Eurorégion entre les Flandres, la Wallonie et Les Hauts-de-France.

« Comme ici, nous avons en plus des liens avec des formations sur le territoire Belge. Le contingent des animateurs qui travaillent sur la série a suivi une formation Technocité , basée à Mons soutenue par la région Wallonne, pour laquelle intervient Marc Pierard, animateur, pédagogue formateur Toon Boom de référence » précise Nicolas.

Une orientation de la prestation vers le marché nord-américain et des projets de comédies « avec du sens »

Pour son activité de prestation, le studio à la petite grenouille rouge (qui doit son nom au terme “froggies” utilisé par les anglais pour désigner les français dans le milieu du rugby, le sport préféré de Nicolas) souhaite se réorienter aujourd’hui vers le marché nord-américain.

Un mouvement engagé avec, pour commencer, un reboot en cours des Tiny Toons pour Warner.

Côté production, plusieurs projets de séries sont actuellement en développement chez Redfrog : Corgy, une famille royale (52×11’), Calypso Cruise (52×11’) et un nouveau projet secret autour de l’adaptation d’une bande-dessinée bien connue dans les 12 à 18 prochains mois. Toutes des comédies, mais « avec du sens » tiennent-il à préciser.